Transmission des forces

Pour comprendre le comportement des milieux granulaires, il faut pouvoir entrer dans l’intimité des interactions entre les grains. On peut se demander, par exemple, si les contraintes appliquées par une construction sur un sol granulaire ou par le passage des trains sur le ballast ferroviaire sont distribuées de façon uniforme parmi les grains.

Il n’y a apparemment aucune raison pour que certains grains participent plus que d’autres à la transmission des forces. Comme nous allons le voir plus en détail, des techniques adaptées de mesure des forces entre les grains, montrent, à l’inverse, qu’un petit nombre de grains supportent des forces assez importantes et, dans le même temps, un grand nombre de grains ne supportent qu’une faible fraction des forces.

Image optique des forces

Une technique expérimentale, mise au point par Dantu, un ingénieur des Ponts et Chaussées, en 1957, consiste à fabriquer un milieu granulaire modèle par un assemblage de grains photo-élastiques. Un matériau photo-élastique a la particularité d’agir sur la polarisation d’une lumière polarisée en fonction des contraintes mécaniques auxquelles il est soumis. Ainsi, en plaçant l’assemblage des grains entre deux polariseurs de la lumière, chaque grain apparaît d’autant plus éclairée que la grandeur des forces auxquelles il est soumis de la part de ses voisins est plus importante.

Figure – A l’aide de l’effet photoélastique, on observe une répartition très inhomogène des forces dans un milieu granulaire (image R. Behringer).

A l’aide de cette technique, on observe une répartition très inhomogène des forces. Il apparaît en particulier des chaînons de grains où les forces sont beaucoup plus élevées que dans les grains voisins. Par ailleurs, un grand nombre de contacts semblent ne porter q’une très faible force.

Simulations numériques

La simulation numérique est un autre moyen qui permet de se placer au niveau de la description microscopique. Dans sa version la plus simple, un milieu granulaire est représenté par des disques ou des sphères de différentes tailles. Pour chaque grain, on décrit l’équilibre des forces exercées par les particules voisines en prenant en compte les forces normales, dont le rôle est d’empêcher que les grains ne s’interpénètrent, et les forces tangentes dues au frottement.

Il existe actuellement deux méthodes distinctes de simulation numérique des milieux granulaires selon le modèle adopté pour représenter les forces normales et tangentes en fonction des déplacements relatifs des grains. Ces méthodes permettent de simuler des systèmes formés de dizaines de milliers de grains. Comme dans des expériences en laboratoire, on peut ainsi simuler l’écoulement et l’équilibre d’un empilement de grains dans des situations diverses.

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Figure – On peut simuler l’équilibre et l’écouement des empilements par les méthodes numériques.

Forces faibles et fortes

Pour aborder plus finement la nature de la transmission des forces, il faut recourir à une analyse statistique. Il s’agit notamment de déterminer, comme dans un sondage, combien de contacts dans le milieu supportent une grandeur donnée de la force. Cette analyse montre que les forces présentent deux lois de distribution différentes selon qu’elles sont supérieures ou inférieures à la force moyenne. Alors que le nombre de fortes forces décroît rapidement avec la grandeur de la force, le nombre de faibles forces est sensiblement indépendant de la valeur de la force. Ceci est également vrai pour les forces de frottement. En d’autres termes, il y a très peu de forces excédant le double ou le triple de la force moyenne. Au contraire, il est facile de trouver des contacts où la force transmise est dix, cent voire mille fois plus faible que la force moyenne.

Nous pouvons ainsi dire que le réseau des contacts dans un milieu granulaire est composé de deux sous-réseaux distincts avec des distributions différentes : le sous-réseau « fort » portant les forces supérieures à la force moyenne et le sous-réseau « faible » portant les forces inférieures à la force moyenne.

Les simulations montrent que ces deux sous-réseaux contribuent de manières assez différentes au comportement mécanique du système pris dans son ensemble. Par exemple, pendant un écoulement lent où les grains se déplacent les uns par rapport aux autres, la majorité des grains roulent sur des grains voisins sans glisser. Il n’y a généralement qu’une petite fraction des contacts où les grains glissent et dissipent de l’énergie. Tous ces contacts sont dans le sous-réseau faible.

Dualité solide-liquide

Connaissant la position des grains et les forces qui s’y appliquent, il est en règle générale possible de calculer les contraintes sur l’ensemble des grains. Nous pouvons notamment compter indépendamment les forces des différents contacts selon qu’elles sont faibles ou fortes. La contrainte globale est alors la somme de ces deux contributions. C’est là qu’apparaît une propriété surprenante des forces dans un milieu granulaire. En effet, au sein de l’échantillon, les forces faibles ne présentent aucune contrainte de cisaillement ! La contrainte due à ces forces est une simple pression comme dans un liquide. Cette pression représente un peu plus d’un quart de la pression moyenne. Quand aux forces fortes, elles donnent l’ensemble des contraintes de cisaillement et les trois quarts de la pression moyenne. Le réseau fort se comporte donc comme un solide.

On peut comprendre schématiquement cette distinction de la manière suivante. Il existe des séquences de grains presque alignés dans le milieu granulaire. Ces ensembles peuvent transmettre des efforts importants si ces derniers sont dans l’axe de l’alignement. Les grains constituent alors des chaînons privilégiés pour la transmission des contraintes. S’ils présentent une faible désorientation (un grains légèrement décalé par exemple), alors il faudra qu’une partie des forces compense ce défaut en trouvant un appui latéral. Dans cette image, on voit que les forces faibles qui corrigent une imperfection géométrique perdent en partie la mémoire de l’orientation de la force majeure qui leur a donné naissance. De fait, ce même processus se reproduit en cascade, multipliant les forces les plus faibles et devenant de plus en plus isotrope.

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Figure – Les milieux granulaires peuvent être vus comme une « éponge », avec une phase solide qui donne sa tenue mécanique à l’ensemble et une phase liquide intimement mêlées.

Ces observations font donc clairement apparaître la dualité liquide-solide des milieux granulaires. En d’autres termes, même dans un tas de sable qui se présente globalement comme un solide, les états solide et liquide sont simultanément présents.

Le broyage

La connaissance des lois de transmission des effortsmécaniques dans les milieux granulaires est cruciale pour une meilleure maîtrise de nombreuses opérations du génie des procédés. Par exemple, le coût énergétique total de l’ensemble des opération de broyage en France est supérieur à celui de l’ensemble du secteur économique du transport ! Or, à la base, il s’agit d’appliquer par un dispositif de compression des efforts de cisaillement aux gros grains (minerais, rochers, etc) que l’on souhaite diviser en plus petits grains.

Le problème vient du fait que, comme l’analyse de la transmission des forces l’implique, seule une faible proportion des grains se trouvant dans la phase « solide » est susceptible de se briser. Le reste est compressé inutilement. Et lorsque l’on continue l’opération, on casse non seulement les gros grains restants, mais aussi les fragments de taille plus petite produits au cours de l’étape précédente. De sorte que l’on parvient difficilement à faire des grains de la taille souhaitée.

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Figure – On parvient difficilement à faire des grains de la taille souhaitée.