Résistance Mécanique

Friable mais solide

Les matériaux granulaires dont nous discutons ici sont constitués de grains qui n’interagissent entre eux que par contact et frottement. Un bon exemple de ces matériaux est le sable sec des plages ou des déserts. Si l’on pousse un grain contre un autre, il apparaît une force de réaction au contact entre les deux grains qui résiste à leur rapprochement. De même, pour faire glisser un grain contre un autre il faut d’abord vaincre la force de frottement. Mais, au-delà du frottement, il n’y a aucune force de cohésion entre les grains. En d’autres termes, il n’y a aucune résistance à la séparation entre deux grains, ni aucune force pour les empêcher de rouler les uns sur les autres. C’est la raison pour laquelle la matière granulaire est si friable. Par exemple, si l’on appuie avec le doigt sur la surface du sable sec à la plage, il s’enfonce sans peine, comme dans un liquide.

Néanmoins, contrairement à un liquide, au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans le sable, il devient de plus en plus difficile de progresser, le sable devenant de plus en plus « solide ». De la même manière, il est d’autant plus difficile d’arracher ou de faire basculer un pieu qu’il est profondément enfoncé dans un sol granulaire. C’est ce même principe qui est exploité pour donner des fondations solides à un bâtiment en le faisant appuyer sur des pieux profondément enfoncés dans le sol.

Résistance au cisaillement

Ces opérations (enfoncement, arrachage et basculement) ont un point en commun : elles impliquent le cisaillement du milieu granulaire par le déplacement du doigt ou du pieu. Le cisaillement est une déformation du milieu mettant en jeu le glissement relatif entre des couches du milieu. Dans l’exemple d’une avalanche sur la surface d’un massif granulaire, le cisaillement se traduit par le glissement d’une nappe de grains à la surface du massif.

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Dans le cas d’un pieu, l’enfoncement ou l’arrachage impliquent le glissement relatif des couches de grains dans le voisinage du pieu tandis que le basculement implique le glissement relatif entre des couches faisant un angle particulier avec le sol. La résistance du milieu au cisaillement, comme dans le cas d’une avalanche, résulte donc du frottement entre ces couches de grains. Le cisaillement ne peut avoir lieu que si la valeur de la force appliquée est supérieure à une valeur limite qui représente la résistance du milieu au cisaillement. Tant que la force appliquée reste inférieure à cette valeur, le milieu résiste au cisaillement sans trop se déformer.

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Surface de glissement

La déformation d’un milieu par cisaillement implique un glissement entre des couches du matériau dans certaines directions d’espace. Dans certains cas, on observe que toutes les couches glissent parallèlement les unes aux autres dans une direction particulière. Mais dans un milieu granulaire, si on prolonge le cisaillement, on constate que le glissement relatif des couches s’arrête et que le glissement continue sur une ou deux surfaces isolées dans le milieu. En d’autres termes, tout se passe comme si le milieu se scinde en deux blocs rigides glissant l’un par rapport à l’autre. Ce phénomène est appelé localisation du cisaillement puisque le cisaillement n’a plus lieu dans tout le volume du milieu mais plutôt sur une surface particulière.

On peut facilement observer ces surfaces de glissement dans le bourrelet qui se forme devant la lame d’un bulldozer. Le déplacement de la lame, en poussant horizontalement le bourrelet, provoque le cisaillement du matériau granulaire. En pratique, le cisaillement se localise dans une surface incurvée de glissement sur laquelle les grains poussés par la lame montent. Il est relativement facile de reproduire cette expérience de poussée sur une plage ou chez soi. Il suffit de disposer d’un bac rempli de sable et de pousser à l’aide d’une plaque de bois introduite dans le sable. Pour mieux visualiser la zone de glissement, on peut préparer un lit de grains constitué de plusieurs couches alternées de grains de couleurs différentes (du sucre et du café moulu, ou de sables de couleurs différentes). On observe alors que les couches se dénivellent légèrement le long de la surface de glissement.

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Loi de Coulomb

Comme on vient de voir, la contrainte de cisaillement est la force (par unité de surface) qui résiste au glissement entre deux couches parallèles. On peut définir également la contrainte normale qui presse perpendiculairement deux couches l’une contre l’autre. A ce stade, il est possible de faire une analogie avec un bloc de solide posé sur un plan horizontal. Le plan exerce une force normale dirigée vers le haut sur le bloc pour équilibrer son poids. La contrainte normale qui agit sur le bloc est donc égale au poids du bloc divisé par l’aire de contact entre le plan et le bloc. Par ailleurs, pour pousser le bloc parallèlement à la surface, on lui applique une force tangentielle (parallèle à la surface). En réaction à cette force, il apparaît une force également parallèle à la surface mais opposée à la force appliquée. La contrainte de cisaillement est la grandeur de cette force divisée par l’aire de contact.

D’après la loi de frottement de Coulomb, la contrainte de cisaillement requise pour mettre le bloc en mouvement est d’autant plus grande que la contrainte normale est grande. Cette contrainte au seuil de glissement définit la résistance au cisaillement entre le bloc et la surface.

La même loi s’applique également entre deux couches voisines de grains dans un milieu granulaire. La contrainte normale sur une surface pour un massif granulaire est proportionnelle au poids total, ce qui augmente avec la profondeur. Par conséquent, la résistance au cisaillement augmente avec la profondeur. Au voisinage d’une surface libre, la contrainte normale due au poids des grains est très faible, et il est donc très facile de déformer un milieu granulaire puisque la résistance au cisaillement est faible. Mais au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans le sable, la contrainte normale due au poids des grains et donc la résistance au cisaillement augmentent, et il devient de plus en plus difficile de progresser.

Dans un liquide à l’état d’équilibre, contrairement aux milieux granulaires, la contrainte de cisaillement est toujours nulle et la contrainte normale en un point du liquide est la même quelle que soit l’orientation des couches de liquides considérées. Ces propriétés expriment le principe de Pascal pour les liquides en équilibre statique. La contrainte dans un liquide en équilibre est ainsi juste une pression (normale à la surface du récipient ou à la surface entre deux couches quelconques du liquide). Dans les solides et dans un milieu granulaire, la contrainte de cisaillement est non nulle et la contrainte normale dépend de l’orientation de la surface. Par ailleurs, la résistance au cisaillement est proportionnelle à la contrainte normale (loi de Coulomb) qui varie suivant l’orientation de la surface considérée.

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Figure – D’après la loi de Coulomb, la contrainte de cisaillement au seuil glissement est proportionnelle à la contrainte normale.

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Figure – La contrainte normale sur une surface pour un massif granulaire est proportionnelle au poids total qui augmente avec la profondeur. Par conséquent, la résistance au cisaillement augmente avec la profondeur d’après la loi de Coulomb.

Le café sous vide

Afin d’illustrer les conséquences de la loi de Coulomb pour les matériaux granulaires, considérons un autre exemple familier : le café moulu. Il est souvent vendu dans un paquet de plastique dans lequel on fait le vide d’air. Le paquet reste rigide tant qu’il est fermé. En utilisant les notions qu’on vient d’évoquer à propos du sable, nous dirons que la résistance au cisaillement du café est très élevée. Mais, dès qu’on ouvre le paquet, il devient aussi mou et malléable que le sable sur la plage. Pourquoi le fait de placer le café sous vide le rend-il si résistant ?

Lorsque le paquet est sous vide, la pression de l’air à l’intérieur est inférieure à la pression atmosphérique. Ainsi, la pression atmosphérique s’exerçant sur la surface extérieure du paquet ne peut pas être équilibrée par la seule pression de l’air à l’intérieur du paquet. Ce sont donc les grains de café qui équilibrent en grande partie la pression atmosphérique. En d’autres termes, la pression atmosphérique est équilibrée par la contrainte normale entre les couches de café ou les grains de café à l’intérieur du paquet. Cette contrainte est beaucoup plus importante que le poids propre des grains de café. Par conséquent, d’après la loi de Coulomb, la résistance au cisaillement est d’autant plus importante.

Lorsque l’on ouvre le paquet, le vide et donc la pression extérieure sur le café disparaissent, le café dans le paquet n’est plus alors soumis qu’à son propre poids. La résistance au cisaillement diminue dans la même proportion. Le café devient mou. Cette manifestation de la loi de Coulomb est propre aux milieux granulaires. Si on place un autre type de matériau, par exemple un bloc de caoutchouc, sous vide dans un sachet, on peut observer que ses propriétés de résistance au cisaillement ne s’en trouvent pas pour autant modifiées.

Figure – Un paquet de café sous vide est rigide tant qu’il est fermé et devient mou lorsqu’on l’ouvre.

Influence de la compacité

Un autre aspect remarquable de la résistance mécanique des milieux granulaires est sa forte dépendance avec la compacité du milieu. La compacité est la fraction du volume occupé par les grains par rapport au volume total. Le reste du volume est constitué des pores (espaces libres) entre les grains. La compacité peut varier légèrement à cause de déformations et de manipulations subies par le milieu granulaire. Par exemple, lorsqu’on verse du sel dans une salière, un certain volume est occupé par le sel. Il suffit alors de tapoter un peu tout autour de la salière pour observer que le niveau du sel baisse, ce qui signifie que les grains se sont rapprochés pour remplir plus efficacement l’espace, le milieu s’en trouve plus compact.

Afin d’observer l’influence de la compacité sur la résistance mécanique, revenons à l’expérience d’arrachage d’un bâton enfoncé dans un matériau granulaire. On verse du sable ou tout autre matériau granulaire dans un tube. On enfonce d’abord un bâton verticalement dans le sable. On maintient ensuite le tube dans une main et on tire lentement le bâton vers le haut par l’autre main. Le bâton sort du sable avec une faible résistance. La résistance au cisaillement est donc faible à ce stade. On enfonce de nouveau le même bâton dans le même tube rempli de la même quantité de sable. Cette fois, on frappe quelques coups sur le pourtour du tube pour compacter le sable. On peut voir que le niveau de sable diminue. Si on attrape le bâton et que l’on relâche lentement le tube, on découvre, non sans surprise, que le tube et les grains restent suspendus au bâton ! Cette observation indique simplement que la contrainte de cisaillement induite dans le sable par le poids de l’ensemble n’est pas suffisante pour arracher le bâton au sable. La résistance au cisaillement est donc beaucoup plus grande après la légère compaction du sable.

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Dans les applications industrielles, la compaction est utilisée comme un procédé efficace pour augmenter la résistance mécanique des matériaux granulaires. Par exemple, le ballast ferroviaire (cailloux qui supportent la voie ferrée) est soigneusement compacté lors de sa mise en place avant la pose des rails. La résistance mécanique du ballast est également liée à la forme anguleuse des grains qui a pour rôle de limiter les roulements des grains.

La compacité peut être également optimisée par l’ajout de petits grains capables de glisser, de par leurs petites tailles, entre les grains les plus gros pour boucher les pores. Cette technique est particulièrement utilisée pour la fabrication des bétons de haute résistance.

En résumé

La friabilité naturelle de la matière granulaire en l’absence de force de cohésion, ne l’empêche pas de posséder une résistance mécanique importante. La résistance au cisaillement est proportionnelle à la contrainte normale imposée par les forces extérieures (le poids, la pression appliquée sur les frontières du matériau). La résistance augmente également avec la compacité du milieu.